Avec Carmen Selma, l’Espagne se fait tirer le portrait

Avec Carmen Selma, l’Espagne se fait tirer le portrait

Que l’on ne s’y trompe pas: Carmen Selma est une artiste engagée. Si elle travaille a partir de photos de familles espagnoles ou de photos de groupes du milieu du XXe siècle – qu’elle colle pour constituer des fonds où quelle reproduit à sa façon – c’est pour mieux capter leur importance en tant que témoignages historiques et sociaux. Ses tableaux à l’huile et ses dessins au crayon et à l’aquarelle représentent des familles sur lesquelles pèsent le lourd poids de la politique et de la religion. Derrière une apparence très colorée, on sent la pesanteur des non-dites, l’absence des défunts décimés par le franquisme (suggérée par l’effacement des corps), mais également un constat sur la place primordiale de la femme dans le schéma familial. Dans ses oeuvres, les femmes sont fortes mais effacées ; elles ne se plaignent jamais.

Qu’elles soient issues de la bourgeoise ou (voir le saisissant “La Femme pot de fleurs”) ou du peuple, d’un tempérament discret ou révolutionnaire (comme celle de “Nous avons la richesse dans le coeur”). Carmen Selma leur rend un hommage appuyé, ainsi qu’à celles qui se sont battues pour l’accès des femmes au vote (voir le tableau “Le suffrage universel” aux tonalités très sombres, où les suffragettes gardent une posture vigilante). Pour que son pays et l’Europe ne reproduisent plus les erreurs du passé, Carmen Selma rappelle les errements des générations précédentes. C’est le cas dans le tableau “Salut sans futur”, dont les protagonistes effectuent le salut fasciste. Pour l’artiste, le futur et la paix passent par l’éducation, vecteur de changement et de réflexion. D’où ces tableaux réalisés d’après des photos de classe, où les fillettes portent des robes à col Claudine et les garçonnets des pantalons ou shorts à bretelles. Les mains sagement jointes, ils symbolisent le renouveau. Carmen Selma évoque aussi les rites et traditions espagnols, notamment la corrida, envissagée du côté des spectateurs, qui sont plus là pour être vus et bavarder entre eux que par réelle passion pour ce “spectacle”.

Dans les oeuvres de Carmen Selma, les couleurs revêtent une importance capitale. Leur usage est parfois inattendu, comme ce bleu et ce rouge pour répresenter les cheveux, et ce bleu puissant qui domine certaines toiles. La gestuelle picturale de l’artiste est déterminée, nerveuse, saccadée. La pâte est épaisse. On note la force évocatrice des regards de ses personnages, tantôt inquiets, méfiants, tantôt songeurs ou ennuyés. Les expressions des visages marquent également : moues, traits effacés, attitude d’attente. Les mains des protagonistes de ses oeuvres en disent beaucoup sur leurs états d’âme, leur rage, leur sérénité ou leur âge. Et par-dessus tout, la notion de famille et celle de solidarité ressortent de ses toiles. Une réflexion sur le statut social et une certaine forme de résignation aussi.

Virginie Moreau

Article dans l’Hérault Juridique & Economique

23 septembre 2014

 

ENGLISH VERSION

With Carmen Selma, Spain gets its portrait

Let there be no mistake: Carmen Selma is an activist artist. She works with pictures of Spanish families or groups from the mid-twentieth century – which she sticks together to constitute backgrounds or reproduces in her own way – in order to better capture their importance as historical and social testimonies. Her oil paintings and her pencil and watercolor drawings represent families upon whom politics and religion weight heavily. Behind a very colorful appearance one feels the weight of the unspoken, the absence of the dead decimated by Francoism (suggested by the wiping-away of bodies), but also the observation of the vital role of women in the family structure. In her works women are strong but effaced; they never complain.

Whether women come from the bourgeoisie (see the striking « La femme pot de fleurs ») or from the people, whether they have a discreet temperament or a revolutionary one (as those from « Nous avons la richesse dans le cœur »), Carmen Selma pays them a deep homage, as she does to those who fought for the right of women to vote (see the painting « Suffrage universel » with very dark tones, where the suffragettes remain in a vigilant posture). In order for her country and Europe not to repeat past mistakes, Carmen Selma recalls the errors of past generations. Such is the case of the painting « Salut sans futur », in which characters salute in the fascist style. To the artist, education as a driver of change and reflection is necessary to ensure a peaceful future. She thus produces these paintings based on pictures of school groups where little girls wear dresses with Peter Pan collars and little boys trousers or shorts with suspenders. Their hands wisely joined together, they symbolize renewal. Carmen Selma also evokes Spanish rites and traditions, particularly the corrida, as seen from the spectators’ point of view, who are there more to be seen and chat rather than out of a true passion for the « show ».

In the works of Carmen Selma colors play a vital role. They are used sometimes in a surprising manner, such as blue and red to represent hair, or that powerful blue which dominates certain paintings. The artist’s gestures are determined, sharp, jerky. The paint is thick. One feels the evocative power of her characters’ gazes, sometimes anxious, suspicious, sometimes dreamy or bored. The facial expressions are also striking: pouting, fading features, and attitude of waiting. The protagonists’ hands also reveal a great deal about their mood, their rage, their serenity or their age. And above all the concept of family and that of solidarity stand out in her paintings. A reflection on social status and a certain form of resignation too.

Virginie Moreau

L’Hérault Juridique et Économique Nº 3013 / 25 septembre 2014

VERSIÓN EN CASTELLANO

Con Carmen Selma, a España le hacen su retrato

No se equivoquen: Carmen Selma es una artista comprometida. Si trabaja a partir de fotografías de familias españolas o de grupos de mediados del siglo XX – que pega en sus telas y utiliza como fondo o que reproduce a su manera – es para captar su importancia como testimonios históricos y sociales. Sus cuadros al óleo y sus dibujos a lápiz y acuarela representan familias sobre las que pesan fuertemente la política y la religión. A pesar de una apariencia muy colorida, se percibe la gravedad de los tabúes, la ausencia de los difuntos diezmados por el franquismo (sugerida por cuerpos desdibujados), pero también el papel primordial de la mujer en la estructura familiar. En sus obras, las mujeres son fuertes aun desdibujadas ; no se quejan jamás.

Ya sean hijas de la burguesía (vean el impactante « La Femme pot de fleurs ») o del pueblo, de temperamento discreto o revolucionario (como la mujer de « Nous avons la richesse dans le cœur »), Carmen Selma les rinde un sentido homenaje, a ellas como a las que lucharon por el acceso de las mujeres al voto (ver el cuadro « Le suffrage universel » de tonalidades muy oscuras, donde las sufragistas se mantienen en una postura de alerta). Para que ni su país ni Europa vuelvan a reproducir los errores del pasado, Carmen Selma rememora las equivocaciones de las generaciones pasadas. Es el caso del cuadro « Salut sans futur »), cuyos protagonistas realizan el saludo fascista. Para la artista, el futuro y la paz pasan por la educación, vector de cambio y de reflexión. De ahí esos cuadros realizados a partir de fotografías de clase, donde las chiquillas llevan vestidos con cuello Claudine y los chiquillos pantalones o shorts con tirantes. Con las manos juntadas obedientemente, simbolizan la renovación. Carmen Selma también evoca los ritos y tradiciones españoles, especialmente la corrida, representada desde el punto de vista de los espectadores, que acuden más para ser vistos y charlar entre ellos que por verdadera pasión por el « espectáculo ».

En las obras de Carmen Selma los colores juegan un papel esencial. Su utilización es a veces inesperada, como ese azul y ese rojo que representan los cabellos, o ese azul poderoso que domina ciertas telas. La gestualidad pictórica de la artista es determinada, nerviosa, entrecortada. La pasta de la pintura es espesa. Transmite la fuerza evocadora de las miradas de sus personajes, a veces inquietos, desconfiados, a veces pensativos o aburridos. Las expresiones de los rostros también marcan : muecas, rasgos difuminados, actitud de espera. Las manos de los protagonistas dicen mucho sobre sus estados de ánimo, su rabia, su serenidad o su edad. Y por encima de todo, las nociones de familia y de solidaridad sobresalen de sus telas. Una reflexión sobre el estatus social y una cierta forma de resignación también.

Artículo en l’Hérault Juridique et Économique

Virginie Moreau

Nº 3013 / 25 septembre 2014

(Artículo original en francés : REF)